Notre époque a l’art d’opposer ce qui n’a pas à l’être. Ainsi, il y aurait d’un côté les chantres de l’attachement régional, de l’autre les partisans de l’unité nationale. Ceux qui défendent leur nation seraient opposés à ceux qui défendent l’Europe, et ceux qui militent pour l’enracinement, à tous ceux qui promeuvent une quelconque forme d’universalité.
Évidemment, il ne s’agit pas de nier les oppositions politiques réelles : les jacobins sont les ennemis objectifs de nos vieilles provinces, les europhiles bruxellois de nos chères patries, les universalistes libéraux de toute espèce d’enracinement. Mais cela ne signifie en rien qu’il faille renier la nation pour défendre sa région, oublier l’Europe sous prétexte que les europhiles détruisent nos nations ou se faire « ethno-différentialiste » pour échapper aux faux universalismes.
En vérité, notre époque, essentiellement binaire – encore une idée chrétienne (celle de l’opposition entre Dieu et Satan) devenue folle ! – crée des dilemmes qui n’ont pas lieu d’exister. Soit, en réduisant tout débat complexe à deux alternatives – si vous refusez d’être libéral, vous êtes étatiste ; si vous n’êtes pas américanophile, vous êtes russophile ; si vous n’êtes pas sioniste, vous êtes antisémite. Soit, en opposant deux valeurs qui n’ont aucune raison d’être opposées. Or, ce dernier procédé est celui qui, nous semble-t-il, nuit aujourd’hui le plus à la promotion de notre moi collectif, en divisant ses défenseurs. Alors qu’une poignée d’idéologues s’acharne à le détruire, nous nous disputons encore pour savoir s’il faut opter pour la nation ou l’Europe (débat houleux entre souverainistes et identitaires), l’Europe ou le christianisme (néo-droitiers hostiles aux « religions du désert » et catholiques refusant toute approche civilisationnelle de la foi), les formes religieuses extérieures ou la foi intérieure, etc. Comme s’il fallait choisir entre son père et sa mère !
Nous n’avons pas à faire de choix : notre identité s’impose à nous. À force d’utiliser ce mot à tort et à travers, on finit par en oublier le sens : l’identité est, tout simplement, ce que nous sommes. Or, que sommes-nous ? Des Bretons ou des Lorrains, des Français ou des Allemands, appartenant à une même civilisation européenne dont la principale composante est le christianisme, et dont les pères étaient chrétiens – chose que tous peuvent reconnaître, même ceux qui n’ont pas la foi. Si nous voulons défendre ce que nous sommes – et non être des idéologues –, il nous faut tout assumer : identités régionale, nationale, civilisationnelle, religieuse.
Les débats prudentiels ont leur place, mais ils ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel. Le grand conflit, l’alternative radicale, le seul véritable dilemme du XXIe siècle est celui qui oppose l’enracinement au déracinement. Le quelque-part au nulle-part. L’être au néant.
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