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Photo du rédacteurLouis Furiet

Les artisans de Notre-Dame ou l’esprit des corporations


Notre Dame de Paris : Le portail du Jugement dernier, installé entre 1220 et 1230, il représente le jugement de Dieu, selon saint Mathieu, où les maudits sont châtiés et les bénis accueillis à la vie éternelle. Photo de Victor Aubert.
Notre-Dame de Paris, Portail du Jugement dernier (1220 - 1230) représentant le jugement de Dieu selon saint Matthieu, où les maudits sont châtiés et les bénis accueillis dans la vie éternelle. Photo de Victor Aubert.

Notre-Dame est ressuscitée, le peuple français peut en être fier – fier de cette réussite, fier de ses bâtisseurs. Mais, nous semble-t-il, on n’a pas suffisamment réfléchi à ce qui a permis une telle résurrection, à la spécificité du travail des artisans. Ce travail a pourtant été animé par un esprit que l’on pensait être celui d’un autre âge, que l’on croyait disparu – parce que le système qui l’a jadis porté a effectivement disparu. Cet esprit a un nom : c’est l’esprit des corporations.


Le modèle corporatif reposait sur un certain rapport au labeur, à la communauté et à la transcendance. Il était synonyme de primat de la qualité sur la quantité, de l’œuvre commune sur l’individuel, de l’esprit sur la matérialité. Or, c’est bien cette vision qui a rendu possible la reconstruction de Notre-Dame.


Primat de la qualité sur la quantité : le travail n’a de sens que s’il est bien fait, c’est-à-dire effectué dans les « règles de l’art », avec patience, rigueur et souci de la beauté. Le travail doit être conçu comme une œuvre si l’on veut qu’il ait une signification – et qu’il soit source de joie. À quoi reconnaît-on une œuvre ? Arendt nous a donné la réponse : à ceci qu’elle est faite, non pour être consommée, mais pour durer. Bâtir – ou rebâtir – une cathédrale, c’est dépasser la seule perspective du présent et s’inscrire dans le temps long, c’est renouer avec l’esprit des médiévaux qui ne construisaient pas pour eux, mais pour ceux qui viendraient après eux.


Primat de l’œuvre commune sur l’individuel : ce qui est grand, ce qui est noble dans le travail, c’est la possibilité de participer à une œuvre qui nous dépasse, de contribuer, selon ses talents, à un bien commun – comme les membres du corps contribuent, chacun selon leur nature, au bien du corps tout entier. Ainsi que l’a montré Othmar Spann, le modèle corporatif est étroitement lié à une vision organique de la société. L’artisan, contrairement à l’artiste moderne, ne veut pas que l’on parle de lui, mais de l’œuvre qu’il a contribué à faire vivre. Les couvreurs, les restaurateurs de vitraux, les sculpteurs, les ébénistes de Notre-Dame resteront des inconnus, et c’est en cela qu’ils sont dignes d’être honorés.


Primat de l’esprit sur la matérialité, enfin : travailler pour le seul profit individuel (capitalisme) ou pour les seuls besoins collectifs (socialisme), c’est oublier que l’homme est plus qu’un corps à nourrir, qu’il est un esprit, appelé à s’élever en spiritualisant son monde (Hegel), à le faire revenir à Dieu (saint Thomas). Quoi de plus beau que de transformer des pierres en chants de louange, que de faire de la créature un hymne à la gloire du Créateur ? Croyants ou non, les artisans de Notre-Dame ont objectivement renoué avec l’esprit religieux, mystique, des corporations.


Œuvre, communauté, transcendance : voilà donc les valeurs avec lesquelles il nous faut renouer, si nous voulons que renaisse la joie profonde et simple du Moyen Âge enchanté.

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